Pour une morale de la vérité

Chers frères et sœurs, priez le Seigneur. Qu’il ouvre mes lèvres pour que je puisse vous faire entendre ce qu’Il veut que vous entendiez et que je ne parle pas en vain.

Au début de cette homélie, je remercie Monseigneur Dubost, qui nous revient pour quelques jours du diocèse de Lyon qu’il administre temporairement, de nous faire l’honneur de présider cette célébration. J’en profite aussi pour saluer toutes celles qui portent le beau prénom d’Anne ; il y en a quelques-unes parmi vous. Anne cela veut dire la « gracieuse », celle à qui Dieu donne sa grâce. On connaît des femmes célèbres dans la Bible qui porte ce beau prénom, la mère de Samuel, Anne, la prophétesse et bien sûr, par tradition, Anne, grand-mère de Jésus.

Mais revenons à cet évangile que nous venons d’entendre. Je ne sais si vous l’avez remarqué, mais il y a quelque chose qui « cloche » dans les deux premières paraboles.

Prenons les choses d’un peu loin. D’abord, une parabole, ce n’est pas un apologue, ce n’est pas une petite histoire qui viendrait pour illustrer une morale. Dans une parabole, il y a souvent un aspect énigmatique auquel on ne prête pas habituellement attention mais qui est décisif dans l’interprétation à lui donner. Essayons de dégager ces éléments d’étrangeté dans notre évangile de ce jour.

1. L’énigme des deux premières paraboles

Dans les deux premières paraboles, celle d’un homme qui achète un champ dans lequel se trouve un trésor et celle de l’homme qui achète la perle, il y a un élément incongru, un moment du récit qui ne « colle pas ». C’est en se rendant attentif à ce point que l’on va jusqu’au bout de ce que le Seigneur veut nous dire, sinon on en reste à ce que je vous disais, c’est-à-dire simplement une histoire du type de celles que l’on trouve dans les Mille et une nuits. Livre que je relis tous les ans avec plaisir, mais qui ne peut en aucun cas recevoir la même réception que les paraboles. Quel est ce point ?

Je reprends avec vous le texte :

Un homme trouve un trésor dans un champ. Jusque-là pas de souci. Quand il l’a découvert il le cache de nouveau. Là encore il n’y a pas de problème. Dans sa joie il va vendre tout ce qu’il possède ; vous voyez ici que quelque chose cloche ! Pourquoi vend-il tous ses biens ? Personne d’autre que lui ne sait qu’il y a un trésor dans un champ. Il y a une incongruité qui mérite de notre part un peu d’attention. Il vend tout ce qu’il possède et achète ce champ ; il n’y a pas eu de délit d’initié, il n’est pas allé crier sur les toits qu’il avait trouvé un trésor ; ce qui évidemment aurait augmenté le prix du champ. Il est le seul à savoir et l’on nous précise bien qu’il s’est empressé d’enterrer de nouveau le trésor. Alors pourquoi va-t-il vendre tous ses biens pour acheter ce champ ?

Dans la deuxième parabole, il y a à nouveau une incongruité. Un homme négociant en perles trouve une perle admirable. Il s’en va et il vend tout ce qu’il a pour acheter cette perle. Nul ne sait le prix de cette perle. Alors pourquoi vend-il tous ses biens ?

2. Une morale de la préférence

Réfléchissons un peu sur ce que peut signifier cet absolu, cette totalité. L’homme s’en va et vend tous ses biens. Il y a dans ces deux paraboles, une même logique. Celle de la préférence. Elle développe une morale qui n’est pas une simple morale du bien ou des biens, mais une morale de la préférence. Il y a dans notre manière de vivre ordinaire, dans nos choix, un élément qui domine l’ensemble de ces choix, qui les oriente et leur donne une qualité.

Nous le voyons illustré dans la première lecture de ce dimanche. Salomon, jeune roi sur le royaume de Juda et d’Israël demande à Dieu une seule chose :  non pas la richesse, la victoire ou la domination, mais la sagesse et le discernement.

Prenons un exemple dans notre vie ordinaire.

Nous préparons avec un certain nombre de paroissiens, les futurs mariés. Lorsque nous les rencontrons, nous mettons en évidence le fait que parmi les dispositions fondamentales au mariage, se trouve la liberté. Pour nous chrétiens, il n’y a pas de liberté sans responsabilité, donc sans projet. Quelle est la préférence que les mariés doivent absolument préserver comme un sanctuaire ? Préserver au-dessus de tout, au-dessus de leur carrière, au-dessus même de leurs relations à leurs enfants ?  C’est leur amour. C’est cela que les mariés doivent tenir absolument comme préférence essentielle. Comme absolu. L’on se marie sans doute parce que l’on s’aime, mais aussi et surtout pour s’aimer. Il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre d’exigences pour que cet amour puisse trouver sa réalisation. Temps de dialogues, de rencontre, d’affection, temps d’activités communes. Tout cela forme une préférence pour un couple.

Autre exemple. J’ai rencontré il y a peu de temps un séminariste qui me disait combien pendant ces temps d’études, ce qui est assez peu original, le fait qu’il soit entre deux eaux, c’est-à-dire entre le fait de suivre ses études pour devenir ingénieur et puis le choix de suivre un style de vie qui le conduirait à entrer au séminaire avait été difficile pour lui. Il a dû, là encore, donner une préférence.

Enfin, l’on pourrait prendre l’exemple des gouvernements qui, sans exception, doivent préférer à tout le bien de tous et non quelques intérêts particuliers ou corporatistes.

Il y a un moment où il faut poser une préférence. Il y a une forme d’obligation à choisir un bien qui va orienter l’ensemble de nos autres choix.

C’est ce que j’appelle la morale de la vérité.

3. La morale de la vérité

Il ne s’agit pas seulement d’une morale du bien ou de biens. On peut en effet échafauder une morale où des valeurs qui paraissent essentielles sont mises en évidence. Mais alors se pose la question de la hiérarchie que l’on établit et du critère qui permet de hiérarchiser. Or une hiérarchie dépend d’un bien un bien véritable, qui ne peut être que le plus propre à nous satisfaire. Celui qui nous permettre de réaliser notre destinée personnelle et notre destinée sociale et commune.

Il y a une vingtaine d’années, un document qui émanait du Vatican, une encyclique de Jean-Paul II qui s’appelait « Veritatis Splendor » (la splendeur de la vérité) et qui a fait beaucoup parler d’elle, a essayé de mettre en évidence cette préférence pour la vérité du bien. Elle optait clairement pour une morale de la vérité, comme son titre le signale. Si vous en avez l’occasion pendant l’été, je vous invite à relire cette encyclique. Dans une première partie, le Pape fait un très beau commentaire de l’épisode du dialogue de Jésus avec le jeune homme riche, rapporté au chapitre 19 du même Évangile selon saint Matthieu. Et l’on retrouve étonnamment dans cette rencontre la même expression que nous avons dans l’évangile de ce jour : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ». (dans notre texte de l’évangile de ce dimanche, l’on dit que l’homme va, vends tout ce qu’il a et achète champ ou perle, c’est-à-dire acquiert son trésor http://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_06081993_veritatis-splendor.html ).

Le problème fondamental de la moralité des actes humains est celui du rapport entre la liberté de l’homme et la Loi de Dieu et en dernier ressort, c’est le problème du rapport entre la liberté et la vérité. Selon l’enseignement de l’Évangile, tel qu’on le trouve en particulier dans nos paraboles de ce jour, « seule la liberté qui préfère la Vérité conduit la personne humaine à son vrai bien. « Le bien de la personne est d’être dans la Vérité et de faire la Vérité » (Veritatis splendor §84)

Chers frères et sœurs, il appartient à chacun d’entre nous de discerner quel est le bien véritable de notre vie, d’en faire notre préférence. Et si nous ne le voyons pas clairement de demander au Seigneur de nous le manifester. Demandons-lui aussi de nous donner la grâce de pouvoir le choisir et de le tenir fermement.

Amen

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