Première messe présidée par le Père Jean Valère Kouwama après son ordination presbytérale.
Chers Frères et chères Sœurs,
Dans le beau pays de France, il y a un mot qui revient régulièrement sur les lèvres des hommes politiques et de nombreux citoyens, c’est le mot de laïcité. Celui-ci occupe l’espace médiatique et l’on fait appel à lui constamment parfois ad nauseam. Les derniers événements que nous avons vécus illustrent la tension et le poids du débat sur la laïcité et il est fort probable que nous aurons encore à l’entendre. Nous sommes appelés à nous situer par rapport à la laïcité.
Aujourd’hui, l’Évangile que nous venons proclamer semble donner raison à cette orientation politique de la laïcité. Jésus proclame haut et fort « Rendez à César, ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». La cause est entendue, la séparation des pouvoirs est reconnue, mais n’y a-t-il rien d’autre à dire ?
Il ne faut pas en rester à la superficie des choses, mais nous devons faire un effort d’intelligence et de compréhension pour mieux nous situer dans notre société contemporaine. L’effort doit nous permettre de comprendre ce que Jésus a dit dans toute la profondeur de sa sagesse, ce qu’il a voulu nous enseigner à travers ses paroles.
Oui, Dieu est pour l’autonomie des pouvoirs. Il reconnaît à l’homme la capacité de gérer le monde et de faire preuve d’indépendance et de liberté dans la gestion du monde. Oui, Dieu—et cela a été réaffirmé lors du Concile Vatican II— reconnaît l’autonomie des réalités terrestres. La constitution pastorale Gaudium et Spes dit clairement que l’homme a la capacité d’agir dans le monde, de le développer, de l’enrichir, de le faire grandir vers plus de justice et de paix. Il est précisé aussi : « Mais si, par “autonomie du temporel”, on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l’homme peut en disposer sans référence au Créateur, la fausseté de tels propos ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu. En effet, la créature sans Créateur s’évanouit. »
La proclamation solennelle de Jésus nous permet de mieux comprendre le fond de sa pensée et celle-ci est très claire : César n’est pas Dieu et Dieu n’est pas César.
Si César n’est pas Dieu, le pouvoir politique, quel qu’il soit, doit se positionner à sa juste place. Il ne peut prétendre gérer la totalité de l’univers et superviser la vie des hommes et des femmes de ce temps jusque dans le sanctuaire de leur conscience. Quel que soit le régime politique en place, la liberté de l’homme demeure le principe fondateur de sa dignité. Et si Dieu n’est pas César, il laisse à l’homme le champ libre pour qu’il exprime son potentiel de créativité et de spontanéité. Dieu n’est pas un souverain qui surplombe l’univers et régit la vie intime de l’homme. Dieu est notre Père et il nous donne le choix d’orienter notre vie dans la liberté. Le livre d’Isaïe dont nous avons lu un passage lors de la première lecture de ce jour nous dit que le Seigneur a le pouvoir de « désarmer les rois » ; il dit aussi que c’est le Seigneur qui a choisi Cyrus pour le faire roi. Et enfin, le passage se conclut par cette affirmation « Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ». A Dieu seul revient la légitimité absolue car c’est son amour qui est donné à tout l’univers.
Vous aurez remarqué que pour entrer en relation avec le Christ, les pharisiens font des compliments à Jésus en espérant ainsi le séduire pour mieux lui tendre un piège. Et pourtant ce qu’ils disent est riche de pertinence. Ils s’adressent à Jésus déjà en le reconnaissant comme un maître, c’est-à-dire comme un homme qui parle avec autorité. « Tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité. Tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. » Reconnaissons-le, les pharisiens disent une chose profonde sur la personnalité de Jésus et son comportement dans le monde. Mais Jésus ne se laisse pas subjuguer par leurs propos car il connaît le cœur des hommes et sait que tout cela n’est que piège pour le faire tomber. Jésus est très subtil. Il demande qu’on lui apporte une pièce de monnaie. Il exhibe celle-ci et montre l’effigie qui y figure, l’image de César. Mais pour les lecteurs de la Bible que sont ses auditeurs juifs, il y a une allusion très forte au récit de la Genèse. Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance. Il y a bien la figure de César sur la pièce, mais César a été créé à l’image de Dieu donc lui-même appartient à Dieu.
Frères et sœurs ; nous sommes tous créés à l’image de Dieu. Notre visage porte les traits fondamentaux de notre ressemblance avec notre Père des cieux. Si nous devons respecter César, c’est-à-dire l’autonomie politique du monde dans une société sécularisée, nous devons dans le même mouvement reconnaître que chaque homme possède la dignité d’enfant de Dieu. C’est à partir de cette reconnaissance que nous pouvons fonder la véritable fraternité.
Dans les Évangiles, il y a un autre passage où Jésus parle d’une piécette de monnaie. C’est l’épisode de la veuve qui donne le peu qu’elle a pour le trésor du temple de Jérusalem. Nous sommes les pièces de monnaie que Dieu a répandues sur notre terre. Nous portons l’effigie de notre créateur, le Père de Jésus.
Jean-Valère, comme tout baptisé, mais comme prêtre désormais, tu es une pièce de monnaie sur notre terre. Tu es appelé à témoigner de l’amour de Dieu autour de toi. De faire, comme la veuve de l’Évangile, de te donner totalement pour la cause du Royaume. Tu es appelé à te dépenser sans compter avec générosité et dans la joie. Notre valeur marchande est en fait le poids d’amour que nous portons en nos cœurs. Comme la veuve de l’évangile, nous pouvons dire que nous rendons à Dieu ce qui est à Dieu en communiquant autour de nous l’amour que nous avons reçu. Nous avons été créés par amour et notre cœur est appelé à diffuser, à rayonner cet amour. Nous sommes appelés à nous dépenser sans limite pour faire vivre l’amour de Dieu parmi les hommes et les femmes de notre temps. Nous sommes témoins d’une fraternité où chacun est reconnu comme égal et libre.
La République française s’honore d’une belle devise : égalité, fraternité et liberté. L’Évangile nous enseigne à vivre cela parce que nous sommes des enfants de Dieu.
Oui, nous vivons dans un état laïc et les chrétiens reconnaissent la légitimité des lois et des systèmes politiques, mais ils affirment dans le même temps que la véritable valeur de l’homme réside dans sa filiation divine. Nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu. Notre valeur propre est d’être enfants de Dieu et d’avoir le cœur rempli de l’amour que nous avons reçu. Nous sommes invités à nous engager en politique pour faire triompher le Règne de Dieu, c’est-à-dire un Royaume de justice et de paix où chacun est reconnu dans sa singularité et sa spécificité.
Rendons à César ce qui est à César, mais n’oublions pas que nous sommes à Dieu car nous sommes ses enfants.
Père Benoît Grière
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