Homélie du 25 octobre 2020, du Père Aubin.
Bien chers frères et sœurs dans le Christ,
Après le piège politique tendu à Jésus, dans l’évangile que nous avons entendu dimanche dernier (Mt 22 15-22) par les Pharisiens et les Hérodiens pour le prendre à défaut et le condamner publiquement ; c’est aujourd’hui une question d’ordre religieux qui lui est posée, toujours dans l’intention d’en découdre avec Lui.
Est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? C’était la question de dimanche dernier. Jésus avait su faire une réponse très subtile et habile à travers la célèbre formule « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Cette fois ci, le défi lui est lancé par un Pharisien, docteur de la loi, (fin connaisseur et interprète de la loi) à travers une question qui à première vue semble banale. « Maitre, dans la loi quel est le grand commandement ? ». En réalité, elle est bien complexe cette question, car du décalogue, la législation juive en est arrivée à 613 préceptes (dont 365 positifs et 248 négatifs) répondant à une forme de casuistique.
Encore une fois, la riposte de Jésus au piège insidieux qu’on Lui tend est à la fois admirable mais un peu paradoxale. On lui demande de citer un commandement : la question est claire, et Jésus parle de l’amour, une réalité qui ne relève pas de l’ordre d’un commandement.
L’amour peut-il être une loi à inscrire dans un code ? L’amour n’est-il pas plutôt une question de cœur, de liberté, de spontanéité et de sentiments ? A contrario, le commandement n’est-il pas l’expression d’une obligation. Le commandement contraint : il vient de l’extérieur, du législateur. Il ne dépend pas de notre volonté. Voyons comment parfois nous sommes réfractaires à certaines lois auxquelles nous avons peine à obéir.
On pourra alors se demander pourquoi Jésus les met ensemble ? L’amour comme liberté et le commandement comme une contrainte et une coercition. La réponse est peut-être que Jésus voudrait présenter l’amour comme une loi, lex fondamentalis, la source de toutes les normes, l’essence de la loi. Toutes les lois gravitent autour de l’amour.
Venons-en à la réponse de Jésus.
Jésus renvoie le docteur de la Loi au fameux schéma d’Israël du livre du Deutéronome, chapitre 6 verset 5 :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Voilà le grand, le premier commandement.
Ce qu’il importe de souligner dans cette déclaration de Jésus, c’est la force de l’expression avec le mot « tout » répété par trois fois, une insistance pour indiquer la totalité de l’amour. Aimer Dieu de tout son cœur. Nous pouvons nous poser la question : Aimons-nous réellement Dieu avec tout notre être ? N’y a-t-il pas des secteurs de notre vie où Il n’intervient pas, que nous fermons à cet amour ? Ne réservons nous pas souvent à Dieu des miettes de notre vie, de notre temps, de nos capacités ? Je disais au début de cette eucharistie que c’est Dieu qui nous a aimés en premier. Et comme réponse à cet amour, il nous est demandé de l’aimer en retour. Mais pas d’un amour partiel, ni d’un amour circonstanciel. Notre amour pour le créateur doit être total.
Aimer Dieu de tout son cœur, esprit et âme, c’est savoir Lui donner la préséance en tout, la primauté sur toutes les zones de notre vie. C’est ce que Jésus nous rappelle en Matthieu, au chapitre 10, verset 37 lorsqu’il dit « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui aime son fils, ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi ». Jésus utilise un comparatif de supériorité, pour nous montrer que nous devons donner la préséance à Dieu dans notre vie.
Se savoir créé par Dieu et aimé de Lui, c’est savoir, devoir en retour L’aimer d’un cœur sans partage.
Cette première partie de la réponse de Jésus suffisait largement à répondre à la question posée
« Maître, quel est le grand commandement ? »
Voici le premier, le grand ! Il aurait pu s’arrêter là, mais non, Il poursuit : « Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce beau verset tiré du livre du Lévitique au chapitre 19, verset 18.
Pourquoi donc cette juxtaposition des deux amours à la verticale, et à l’horizontale ? Jésus veut simplement nous rappeler que ces deux commandements sont inséparables et complémentaires. Ces deux amours se tiennent mutuellement. On ne peut pas aimer Dieu, et haïr son prochain. On le lit en saint Jean, chapitre 4, versets 20-21 : Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu » alors qu’il a de la haine pour son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de Lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère ». Dieu, nous ne Le voyons pas. Il s’est révélé en nous à travers son Fils unique. Mais le prochain, nous le voyons. Jésus nous rappelle que nous ne pouvons pas prétendre L’aimer et aimer Dieu son père, en n’aimant pas notre frère qui est à côté de nous.
Aimer le prochain, comme soi-même, c’est pouvoir lui souhaiter tout le bien que l’on se souhaite à soi-même, savoir l’aimer avec désintéressement, pas une projection de soi dans l’autre ( ce serait alors un amour intéressé) mais savoir aimer l’autre dans son altérité, tout simplement parce que nous sommes tous des frères : cela me rappelle cette belle encyclique du Pape François « Fratelli Tutti ». Je voudrais citer un article de cette encyclique, où le Pape nous invite à vivre l’amour. Je vous lis l’article n°95 : « L’amour nous met en tension vers la communion universelle. Personne ne mûrit, ni n’atteint sa plénitude en s’isolant. De par sa propre dynamique, l’amour exige une ouverture croissante, une plus grande capacité à accueillir les autres, dans une aventure sans fin qui oriente toutes les périphéries vers un sens réel d’appartenance mutuelle. Jésus nous disait : « Tous vous êtes des frères ». (Mt 23, 8). Au début de l’Eucharistie je vous ai dit que nous sommes tous aimés de Dieu, parce que nous sommes ses créatures et ses enfants. L’autre qui n’est pas baptisé est aussi un frère à venir. C’est ce que nous rappelle le Pape : il nous invite à un amour qu’il qualifie d’universel.
L’autre dont parle le Pape François, « le prochain » dont parle Jésus sont à considérer comme des alter ego, d’une égale dignité humaine, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. L’opportunité nous est offerte à travers cet évangile de réfléchir sur là où nous en sommes avec l’amour, cette loi fondamentale sur laquelle nous serons jugés. Saint Jean de la Croix nous rappelle: « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour ». Bien souvent, nous prêchons sur l’amour, nous en parlons sans pour autant en vivre. Imaginons un couple qui limiterait son amour aux « je t’aime » sans le traduire pas dans des faits et des gestes concrets ; il serait bien limité et stérile cet amour.
Le Christ modèle parfait de l’amour
Pour vivre cet évangile, pour vivre l’amour dont il est question, je vous invite, frères et sœurs à vous tourner vers le Christ. Il est la source, Il est l’amour incarné. Ce qu’il nous demande, Il l’a vécu jusqu’au bout. Il nous a aimé d’un amour qui est allé jusqu’au don de sa vie. Qu’Il daigne insuffler en tous et toutes son Esprit saint afin d’aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme nous-mêmes, d’un amour sincère en actes et en vérité : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait »
Amen
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