Homélie du 10 septembre 2023

L’ÉCOUTE, UN ART SUBTIL QUI DONNE VIE

 

Introduction :

Écouter. Rien de plus banal semble-t-il.

Mais les sollicitations deviennent de jour en jour plus nombreuses, parfois pénibles et même inquiétantes.

Musique dans les supermarchés, à un niveau tel que l’on ne peut guère se parler. Est-ce volontaire ? J’en fais parfois la remarque aux commerçants et leur dis regretter que l’on impose un fond sonore abrutissant. Veut-on par là rendre le chaland plus accessible au mirage de la consommation ?

Musique dans les salles d’attente des médecins.

Musique dans le métro, musique dans les airpods de mon voisin dans le métro, le bus.

Je suis moi-même complice de ce bruit.

Je me lève, j’allume la radio, je monte en voiture, il en va de même.

La radio qui fait sa promotion à coup de slogans. Je cite en vrac : « Écoutez la radio qui vous écoute » ; « Écoutez la différence » ; « Le pouvoir de l’écoute ».

Écouter serait-il si simple ?

Ce n’est pas sûr.

 

  1. Mais qu’est-ce qu’au fond écouter ? Écouter vraiment ?

Le christianisme nous a appris que l’écoute n’est pas première mais bien la parole : au commencement était le Verbe, la Parole, et le Verbe était Dieu. En la Parole de Dieu, tout fut créé.

Se former à l’écoute revient avant tout à laisser la priorité à la parole. Parce que la Parole de Dieu nous a créés, et que c’est en Elle que nous avons l’être et l’existence.

L’écoute naît de la parole à nous adressée. Aussi la condition indispensable à l’écoute est le respect et la vénération pour ainsi dire de la parole d’autrui.

Écouter, c’est prêter attention au verbe qui m’est adressé. Non pas en sa musicalité, pas même en son sens, mais en son caractère sacré. Un verbe, qui est un raccourci du Verbe de Dieu.

Écouter revient ainsi en définitive à accueillir Dieu lui-même.

Jésus l’a laissé entendre dans une sentence dont il a le secret et qui est plus subtile à interpréter que ce qu’on en dit habituellement : « celui qui vous écoute, m’écoute, et qui m’écoute, ce n’est pas moi qu’il écoute, mais mon Père qui m’a envoyé » (évangile selon saint Luc, 10, 16).

 

J’ai toujours été fortement touché par la relation nouée au fil du temps avec des personnes muettes, de naissance ou à cause de la maladie.

Cette parole audible qui leur est ôtée – parole audible, dis-je, car il y a bien d’autres paroles que l’on peut émettre -, cette parole audible résonne plus encore en son caractère sacré dans la privation dont souffre ceux qui s’en voient dépourvus.

La Parole de Dieu qui résonne en chaque Parole humaine est une Parole muette. Elle résonne plus en son caractère sacré qu’en sa diction.

Verbe silencieux. Qui saura l’écouter ?

 

  1. L’écoute vivifiante

Cette semaine je rencontrais un jeune que j’ai accompagné jusqu’à son entrée dans une abbaye bénédictine. Je le connais depuis 18 ans. Il en a maintenant 28. Il a obtenu un beau diplôme qui lui ouvre les portes des meilleures entreprises. J’ai été fort impressionné par ses progrès dans l’écoute. Est-ce en raison de sa fréquentation des moines ?

Je lui rappelais le commencement de la règle de Saint Benoît qui débute ainsi : «Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l’oreille de ton cœur. »

Cette semaine, les enfants et les jeunes ont repris le chemin de l’école, du collège, du lycée. Ils vont à nouveau s’exercer à l’attention et à l’écoute.

Notre écoute devrait toujours être concomitante d’une vénération profonde de la parole d’autrui. Les maîtres spirituels ont développé cette aptitude. On ne s’y trompe pas lorsque l’on rencontre un être doté d’un tel pouvoir d’accueil. Les moines et moniales témoignent le plus souvent de ce pouvoir étonnant. Ils vous écoutent, ou plutôt, non, ils vous accueillent tout entier en tout ce que vous êtes et représentez. Non pas seulement votre parole mais vous-mêmes.

De bons observateurs ont fait remarquer que la forme de l’oreille est semblable à un fœtus dans le ventre maternel.

Comme si l’organe de l’audition était l’image de l’homme tout entier. L’oreille nous est donnée pour accueillir celui que nous écoutons dans la totalité de son être et de son existence.

C’est un art subtil et délicat que l’on apprend chaque jour un peu mieux, pour mieux comprendre et aimer.

Heureux donc ceux qui passent leur adolescence et leur jeunesse à former ce pouvoir d’écouter. Celui ou celle qui « traverse les années d’étude sans développer en soi cette attention a perdu un grand trésor. » (Simone Weil, Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l’amour de Dieu, in Attente de Dieu).

 

En cette journée de prévention du suicide, prions pour que notre oreille se fasse attentive.

Demandons la grâce d’écouter comme s’il était en notre pouvoir de faire vivre par notre écoute. C’est à quoi nous devons nous exercer sans cesse.

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