Chers frères et sœurs,
Quel est le grand principe pédagogique ?
Je ne cesse de le rappeler à mes étudiants au début de chaque année : le grand principe pédagogique, c’est la répétition. Pour que les choses soient assimilées et entendues, il faut répéter et ainsi creuser sa mémoire qui est le lieu de la réception de l’enseignement.
La semaine dernière, si vous vous en souvenez, dans l’Évangile, Jésus rendait l’audition à un sourd, en ayant sur lui une parole “Effetah” “ouvre-toi”. Je vous rappelais que pendant le baptême d’un enfant, ce rite est répété. C’est ce que j’ai fait sur Armand dimanche dernier, et que je ferai sur Aaron aujourd’hui.
1. L’écoute
Certains ont remarqué dès l’Antiquité qu’il existe une ressemblance entre la forme de l’oreille et la position du fœtus. Comme si l’écoute dépassait bien largement la simple capacité auditive et qu’elle conditionnait tout l’être humain. C’est si vrai que l’on a mis en évidence dès l’Antiquité aussi, le rapport entre l’écoute et la station debout. Nous en avons une attestation dans l’évangile. Saint Jean-Baptiste déclare : “ La voix de l’époux fait la joie de l’ami de l’époux, qui se tient là, debout, et qui l’écoute.” ( Jn 3, 29)
Non seulement, l’écoute permet la station debout mais elle permet aussi de se redresser. Saint Augustin affirme dans une formule latine dont il a le secret :
“Audiat ut surgat.” – “Qu’il écoute pour se relever.” (Sermon 142, 2).
Mais l’écoute, si elle conditionne notre humanité tout entière, doit être travaillée.
2. Les conditions de l’écoute
La première condition à l’écoute, c’est que nous soyons impliqués dans ce que nous entendons.
Souvent on a tendance à penser : « ce que dit celui-là ne me concerne pas ! » et nous filtrons assez volontiers ses paroles. Dans une gare, nous sommes attentifs uniquement aux annonces concernant notre numéro de train et destination mais non à autre chose.
Pour écouter, il faut être impliqué dans ce que nous percevons.
“Quand donc avons-nous entendu ?” interroge le philosophe Heidegger[1] et il répond: “Nous avons entendu quand nous faisons partie de ce qui nous est dit.”
Le défaut d’écoute tient beaucoup au fait de l’isolement, un isolement volontaire. Je m’abstrais de ce qui est dit ou de l’information qui m’est donnée.
La deuxième condition à l’écoute est l’obéissance. C’est un terme aujourd’hui qui a mauvaise presse et qui a pratiquement disparu de notre lexique commun. Contre elle, on exalte la liberté, on exalte l’autonomie par rapport à l’hétéronomie – le fait de dépendre de quelqu’un -. Il y a pourtant un rapport strict entre l’écoute et l’obéissance, qui transparaît dans le vocabulaire à la fois latin et grec. “ab-audire”, c’est se placer sous l’écoute de quelqu’un, sous la dépendance de sa parole.
L’obéissance a sa vertu et elle peut parfois nous sauver de la perdition.
Il y a une vingtaine d’années, j’étais allé rencontrer des évêques au Vietnam pour évoquer la formation des séminaristes. On nous avait donné un guide pour nous accompagner dans le pays. Arrivé à Saigon, Hô-Chi-Minh-Ville aujourd’hui, j’ai voulu aller voir l’église où une partie de ma famille, des oncles et grands-oncles s’étaient mariés. Je n’avais plus de guide et devais me débrouiller tout seul. Ne connaissant pas un seul mot de vietnamien, quand je demandais aux personnes que je rencontrais : “c’est par là ?” on me répondait : “ oui, oui c’est par là.” C’était pour me faire plaisir évidemment, pour éviter de me faire perdre la face. Moyennant quoi, je me suis complètement perdu ! Et j’ai saisi combien il pouvait être utile pour ne pas se perdre, d’obéir à une direction claire et précise, d’être soumis à une parole.
Une des difficultés, aujourd’hui d’une partie de notre société, ce n’est pas simplement qu’elle est perdue au sens moral. Non, c’est une autre difficulté, plus redoutable. Ce que j’entends de la part des catéchumènes adultes qui me disent qu’ils ont longtemps ignoré qu’ils étaient perdus. Ce qui rend compliquée l’annonce de la foi, c’est qu’aujourd’hui beaucoup sont perdus mais l’ignorent. Il est beaucoup plus difficile de se sortir d’une situation de perdition, si l’on ignore que l’on s’y trouve.
Chers frères et sœurs, travaillons à notre capacité d’écoute, à nous rendre présents à ce qui nous est dit, et à nous conformer aussi à la parole qui nous est adressée. Une parole de salut, une parole qui nous indique une direction sage, conforme à ce que nous portons de profond, de véritable, de digne, de beau, ce que nous portons comme aspiration à ce qui est grand et généreux en nous.
Écouter est aussi nécessaire à l’homme que la lumière à la plante dont elle tire son énergie.
Amen
- Jacques Ollier
[1] Essais et conférences, Paris, 1958, p. 259
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