Homélie du 7 juillet 2024

Éloge de la patrie

L’évangile de ce jour nous présente Jésus, de retour dans sa patrie. La traduction liturgique a choisi une périphrase maladroite pour traduire ce syntagme : au lieu de dire patrie, on dit : le lieu de son origine.

Pourquoi ne pas choisir patrie. Le lieu de nos pères. Patrida en grec qui trouve son origine dans le mot pater père et patria en latin qui rend le même mot, père.

La patrie, le lieu de l’enracinement. Le lieu de l’identité profonde et fondamentale, où l’on vient se retrouver, se ressourcer, pour se confronter à la sagesse des pères.

La terre est la matrice de cette identité. D’où venez-vous ? demande-t-on à quelqu’un pour se faire une idée sur son identité.

Les frontières terrestres sont les garants de l’identité nationale. Et plus les frontières terrestres sont abolies, plus elles retrouvent de vitalité à l’intérieur des espaces privés de bornes. Deux exemples presque triviaux. On veut supprimer les frontières européennes, mais à l’intérieur de ce qui reste d’elles, on ne se parle plus. Le dialogue inter social n’a jamais été autant en péril qu’aujourd’hui. Il suffit de prendre les transports en commun. Chacun est devant son téléphone, se regardant comme en un miroir. Moi et moi. Je mets une frontière entre toi et moi. Plus personne ne se parle ou communique. Regardons les débats politiques. Là encore les frontières réapparaissent vite. On s’invective, faute de positionnement clair et l’on peine, par là même, à dégager des lignes fortes d’entente mutuelle pour dégager un « programme commun ». Plus on nie les frontières réelles, plus on a tendance à en recréer, d’intérieures, qui nous traversent de part en part.

Il ne suffit pas de détruire les frontières pour être exonéré des séparations qui réapparaissent aussi vite que l’on cherche à s’en priver.

« Et si le sans-frontiérisme était un leurre ? » Partout dans le monde, et contre toute attente, se creusent ou renaissent de nouvelles et d’antiques frontières. Telle est la réalité.

« Ne faudrait-il pas plutôt célébrer ce que beaucoup déplorent : la frontière comme vaccin contre l’épidémie des murs, remède à l’indifférence ? » Je le pense.

« Julien Gracq a bien compris que dans l’expression « histoire-géo » le trait d’union était vital et qu’on gagnait à mettre le second terme en premier. Pas d’histoire sans géo. La géo comme guide de l’histoire, ce qu’un siècle de philosophie a nié sans discontinuité. La frontière est névralgique, positive, apaisante. La frontière, c’est la paix. » La frontière n’est pas une garantie de paix. Mais là où il n’y a pas de frontière, on est à peu près certain de trouver un état de guerre.

Et il y a encore pire que l’absence de frontières, c’est la frontière qui manque la limite réelle et historique : Voyez l’Afrique, dont les frontières ethniques ont été bafouées par le découpage artificiel. Voyez le Moyen-Orient, tout aussi déchiré. Une géographie sans histoire est aussi un péril.

Jésus retourne dans sa patrie. Nazareth. Le pays de ses pères. Il n’y est pas bien reçu et ne peut accomplir là, aucun miracle. Serait-ce une critique à peine voilée de la patrie ? Je ne le pense pas. Dans les évangiles, Jésus, après cet épisode, ne retourne pas dans sa patrie. Lui tourne -t-il le dos ? Non ! Mais il l’appelle à ne pas s’enfermer sur elle. Car si la patrie a toute sa légitimité comme lieu source et lieu de ressourcement, lieu des pères et de l’histoire, on sait bien qu’on n’écrit pas l’histoire en regardant son passé. L’histoire, c’est toujours celle d’un présent et d’un avenir, qui porte les traces d’un passé, mais ne les considère pas comme le tout d’elle-même.

Dimanche dernier, Jésus invitait ses disciples à passer eis to peran, c’est-à-dire de l’autre bord, de l’autre côté de la frontière. Jésus n’abolit pas la frontière. Il l’affirme. Et c’est pour en découvrir le bon côté.

L’éloge de la frontière ne signifie pas que la patrie soit une fin en soi. Elle est un commencement inaliénable. Qui appelle un dépassement.

Il en va de même de notre vie. Nous ne pouvons nous priver sans risque de notre vie. Mais nous savons que nous n’y sommes pas limités. Qu’un jour, nous aussi, nous passerons sur l’autre rive. Nous naviguons, comme saint Paul, entre la nostalgie de notre patrie, et la nostalgie plus large, plus vaste et plus lumineuse que Dieu nous prépare.

Voici ce qu’écrit saint Paul dans sa Seconde Lettre aux Corinthiens :

actuellement nous gémissons dans l’ardent désir de revêtir notre demeure céleste par-dessus l’autre… En effet, nous qui sommes dans cette tente, notre corps, nous sommes accablés et nous gémissons, car nous ne voudrions pas nous dévêtir, mais revêtir un vêtement par-dessus l’autre, pour que notre être mortel soit absorbé par la vie.

 

Éloge des frontières, éloge du corps. Et le corps est notre frontière la plus naturelle. Mais qui se verra recouverte par une grandeur surnaturelle, celle que Dieu, demain, lui donnera. La frontière est indispensable. Mais elle sera un jour abolie, par celui-là seul qui peut le faire sans risque ni péril pour nous. Ainsi en sera-t-il des frontières terrestres. En attendant, il faut se contenir et accepter les limites extérieures qui nous gardent de les voir se reformer en nous.

Jacques Ollier

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