Il y a quelques années, j’entourais une famille qui venait de perdre son grand-père. Le grand-père était resté à la maison, il était mort chez lui, et toute la famille était là autour du corps du vieil homme, recueillie, priante. Et un petit-fils de 3 ans s’approcha et dit : “je voudrais chanter quelque chose pour Bon papa.” Et il commença à chanter : “Une poule sur un mur…” Quelque chose qui n’avait rien à croire avec la mort, mais qui jaillissait du cœur de l’enfant.
Mes frères et sœurs, nous sommes des disciples de quelqu’un qui nous a appris à regarder la mort en face. La mort est souvent cachée dans notre société, aujourd’hui. Le chrétien, bien-sûr, peut trembler devant la mort. Le Christ lui-même, à Gethsémani, a prié : “Père, éloigne de moi cette coupe.” Mystère de la mort, nous y pensons, mais mystère de la mort dans son aspect inéluctable. La seule chose dont je suis sûr, c’est que tous, nous mourrons. Mystère de la mort aussi dans sa laideur. Mystère de la mort dans son non sens. Mais voilà ! Nous sommes disciples du Christ, nous n’avons pas la réponse à tout. Et nous est donnée une espérance qui change tout. Une brèche dans la mort est ouverte à jamais. Et le Christ par sa vie, par sa résurrection a retourné ce non sens pour donner un sens à la vie. La vie ne débouche pas sur le néant, mais sur la gloire, l’éternité, la lumière.
Alors dans la force tranquille de ce lendemain de la fête de la Toussaint, en ce jour de commémoration de tous nos frères défunts où nous prions pour eux, monte dans nos cœurs cette triple affirmation.
Si nous devons mourir, c’est pour vivre.
Si nous devons mourir, c’est pour voir.
Si nous devons mourir, c’est pour aimer.
Oui, si nous devons mourir c’est pour vivre.
Vous savez que l’on appelle le jour de la mort d’un saint par exemple ou de tout chrétien, le “dies natalis ». Le jour de la naissance. Oui, la mort pour nous est cette renaissance. La mort pour nous va être cette naissance de la mort à la vie, de la tristesse à la joie, de l’égoïsme à l’amour, de l’enfermement à la communion. Le “dies natalis », ce jour où nous nous ouvrons à la vie en plénitude. Cette mort pour nous, est cette plongée dans la vie réalisée dans le mystère de Pâques. Pâques, dont nous sommes marqués depuis le début de notre vie chrétienne, est ce passage de la mort pour entrer dans la vie. Oui, si nous devons mourir, c’est pour vivre pleinement. Mais déjà notre chemin sur la terre : un an, dix ans, vingt ans, cinquante ans, cent ans, est un apprentissage de la vie. Nous apprenons à vivre pleinement. Nous le disions hier dans la fête de la Toussaint. Si nous fêtons les saints, c’est pour nous apprendre à vivre notre humanité dans sa plénitude nous aussi et la sainteté n’est pas quelque chose qui vient s’ajouter à notre humanité, c’est notre humanité qui se déploie déjà dans la lumière de Dieu. Oui, nous sommes en chemin vers la vie, mais nous mourrons pour vivre en plénitude.
Si nous devons mourir, c’est pour voir.
Ici-bas, nous avançons à tâtons. Nous ne sommes pas dans la pleine lumière. Bien des questions habitent notre cœur. Pourquoi ceci, pourquoi cela, mon père? Pourquoi la mort de telle personne ? Pourquoi la souffrance ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi tant de choses qui nous dépassent ? Et nous voulons savoir et nous voulons voir. Nous voulons voir la lumière. Quelle joie lorsque nous ouvrons nos volets, un beau matin d’été, où la lumière rentre dans notre chambre. Comme la lumière qui est là, -quoi que nous fassions elle est là- Dieu entre de la même manière si nous ouvrons la porte. Oui ,Dieu est comme la lumière, Dieu est cette lumière, comme le soleil qui est là quoi que l’on fasse, quelle que soit notre humeur, quel que soit notre état intérieur, on ouvre les volets et la lumière entre. Et nous aimons cette lumière car nous sommes faits pour elle. Et si nous devons mourir, c’est pour être dans la lumière.
Vous savez que, dans la Bible, les ténèbres sont symboles du péché. Le prince des ténèbres est celui qui est contre Dieu, il est celui qui refuse Dieu. Là où n’est pas Dieu, là sont les ténèbres. Là où est Dieu, là est la lumière. “Je suis la lumière du monde. Vous êtes la lumière du monde.” Jésus ne nous dit pas : “ J’aimerais bien que vous soyez la lumière du monde.” Il nous dit : “vous êtes la lumière du monde.” Notre chemin sur la terre est déjà un apprentissage pour accueillir cette lumière. Cette lumière de Dieu qui vient chaque dimanche en particulier éclairer notre cœur, éclairer notre journée, éclairer notre vie, pour qu’un jour nous puissions en plénitude entrer dans cette lumière. Aspirons, ayons soif de la vraie lumière, frères et sœurs. Elle nous est déjà donnée en partage, dans la Parole de Dieu, dans les sacrements, dans la vie fraternelle que nous essayons de vivre. Si nous devons mourir c’est pour voir.
Et enfin si nous devons mourir, c’est pour aimer.
Aimer, qui est au sommet de tout. Ici-bas, nous sommes en apprentissage de l’amour. Nous essayons de comprendre, qu’aimer, c’est toujours se quitter pour se donner. Voilà une belle définition de l’amour. Qu’est-ce qu’aimer ? C’est se quitter pour se donner. Et la mort va nous apprendre ultimement cette manière de nous quitter pour nous donner dans l’amour et recevoir l’amour de celui qui en est la source. Oui, nous sommes en apprentissage d’amour, nous sommes des apprentis mais nous pouvons réellement déjà exercer ce qui nous est donné par grâce. Nous sommes capables d’aimer. Nous sommes capables, parce que Dieu nous en rend capables non pas par nous-mêmes, bien sûr, mais par grâce, par force et aussi par décision, par volonté.
“Je veux aimer”, c’est déjà aimer. Non pas simplement avoir des sentiments, mais “je veux aimer, je décide de t’aimer” peut dire un mari à sa femme, une fiancée à son fiancé. Oui, nous sommes en route pour cela et l’Évangile, les sacrements ne cessent de nous conforter, de nous stimuler dans ce chemin de l’amour. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Voilà ce que nous apprenons à faire et voilà ce que la mort réalisera totalement en nous pour être plongés ultimement dans ce feu, dans ce brasier, disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, ce brasier d’amour. Voilà la définition du ciel : brasier d’amour, magnifique !
Frères et sœurs, en cette fête du lendemain de la Toussaint, où nous prions en communion pour que tous nos défunts puissent ainsi vivre, voir et aimer, demandons que nous aussi, encore en pèlerinage sur la terre, nous puissions préparer ce passage, y penser – quand on est jeune, on n’y pense moins, on croit qu’on a l’éternité devant soi, – quand on devient un peu plus âgé, on pense un peu plus à ce grand rendez-vous qui peut-être ne sera pas loin. Il est bon de ne pas l’oublier que c’est ce chemin, ce rendez-vous qui nous attend. N’en ayons pas peur ! N’ayons pas peur de ce qui n’est qu’un passage, comme une lettre qu’on met dans la boîte aux lettres. Il faut lâcher et nous entrons ainsi dans cette vie qui nous attend.
Que cette espérance, cette certitude s’enracinent dans nos cœurs, frères et sœurs et nous permettent de traverser toutes les tribulations de cette vie, les joies comme les peines, en ayant cette espérance chevillée au cœur. Voilà comment on doit distinguer un chrétien, parmi ceux qui se lamentent, se replient sur eux. Non, pas que nous rions devant la mort, nous pleurons avec ceux qui sont tristes. Comme le Christ, nous pouvons pleurer nos morts, mais cela n’empêche pas cette espérance et cette paix profonde qui ne peuvent qu’augmenter, au cours des âges, au cours de notre vie.
Oui, Seigneur apprends-nous à déjà vivre en plénitude pour que nous puissions entrer un jour dans la vie où tu nous attends.
Apprends-nous déjà à voir les signes de ta vie, de ta présence dans notre existence pour qu’un jour nous puissions être baignés dans cette lumière.
Apprends-nous déjà à aimer pour qu’un jour nous puissions accueillir cet amour que tu nous promets et qui sera notre joie éternellement.
Amen.
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