Homélie du Père Ollier, 21 février 2021 ; 1er dimanche de Carême.
Que la parole humanise nos déserts
1. La parole fleurit le désert
Il y a des déserts de pierre
Il y a des déserts de sable
Il y a des déserts humains.
Et la parole humaine même vient humaniser ces déserts. Une parole articulée ou une parole gesticulée, un geste, une caresse tendre, une parole intérieure aussi, une prière.
Je prends un exemple. Une chambre d’hôpital. Vous avez fait l’expérience du réconfort de la visite, non médicale, non intrusive, visite familiale, amicale, moment très cher, très important pour un malade. De son lit on voit l’ami, le familier entrer. Puis la visite se transforme en échange d’une parole. Dès l’entrée de l’ami, l’univers froid, souvent étranger pour nous de l’hôpital ou de la clinique, devient tout à coup plus doux. Puis il y a un second niveau de réconfort, c’est celui où la parole entre en jeu. Dans ce désert, la parole vient créer le réconfort et la joie. Et l’asymétrie de la relation habituelle entre le médecin et le personnel soignant, aussi compétent et affectueux soit-il, est brisée, rompue. La parole humanise les déserts les plus inhabitables..
La parole humaine humanise la rencontre.
La parole humaine humanise la vie.
Et l’on pourrait dire qu’elle vient humaniser la mort même.
Il y a quelques années, jeune diacre, je devais célébrer les obsèques d’une femme. Lors de la préparation des obsèques, l’un de ses enfants m’avait interdit de parole. Il ne voulait ni témoignage, ni homélie. J’avais refusé ; je lui avais dit que je dirai ce qu’il souhaiterait que je dise et pas davantage, mais que je ne pouvais, par égard pour elle et pour Dieu, priver sa mort d’une parole. Je pense qu’au moment de ce grand désert qu’est la mort, une parole doit venir humaniser ce dernier acte, cette dernière situation de l’homme. C’est pourquoi l’Eglise depuis 2000 ans ne cesse de méditer les 7 paroles du Christ en Croix.
La parole humaine vient dans le désert des existences pour en faire un jardin. C’est ce que nous voyons dans le passage de l’Evangile selon saint Marc que nous lisons ce dimanche où très paradoxalement aucune parole n’est prononcée, contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres récits de tentations au désert. Dans l’Evangile selon saint Matthieu, Jésus parle beaucoup. Mais ici, Il ne dit pas un mot. Mais Il est la Parole de Dieu faite chair au milieu du désert avec cette conséquence que l’on voit et que saint Marc note : « Il était au milieu des bêtes sauvages et les anges le servaient ». Par sa parole, Il a humanisé ce lieu vide, dangereux, ce lieu de tentations et de désolation.
2. La parole de vérité ensemence la terre
Alors aujourd’hui, où sont nos déserts ? Ils sont flagrants, évidents.
Il y a d’abord le désert de la foi. Je pense que vous êtes témoins comme moi de cette dégradation de ce que l’on pourrait appeler l’esprit religieux, l’attachement tout simplement à une religion, à une foi, au Credo, pour ne pas dire à l’Eglise.
Désert de la foi, où il nous faut parler précisément pour pouvoir lever les incompréhensions, les préventions qui sont souvent écrasantes non pas pour nous mais pour ceux qui les portent. Il ne faut pas creuser beaucoup pour se rendre compte que ce que l’on croit de nous n’est pas ce que nous vivons. Avant de parler, il importe d’entendre et parfois même d’accepter ce qui nous est dit dès lors que cela est constructif. Mais il n’importe pas moins de corriger et réfuter ce que l’on nous présente comme étant nôtre et que nous ne pouvons reconnaître comme tel. Ce que nous vivons dans le christianisme est large, parce que Dieu est large, parce que Dieu est large dans nos étroitesses et qu’Il élargit notre chemin dès lors que nous marchons avec Lui. Il nous faut savoir rendre compte de cette grandeur de Dieu, de cette grandeur de la foi.
Ecouter donc, mais aussi argumenter.
Je vais prendre deux exemples.
Il y a parfois une confusion qui est faite entre une église, une synagogue et une mosquée. Je ne remets pas en cause le bien-fondé de l’existence d’une synagogue qui est un lieu de rassemblement, un lieu de prière et surtout d’études. Je ne remets pas en cause du tout l’existence et l’importance d’un lieu de rassemblement pour les musulmans qui y prient et entendent un enseignement. Mais je distingue ces deux lieux de rassemblement et de prière d’une église qui n’est pas d’abord un lieu de prière – il y a, pour cela, des oratoires.
Une église c’est d’abord un lieu de culte parce qu’il y a un autel où est offert chaque jour et chaque dimanche le sacrifice unique du Fils de Dieu. N’en déplaise à beaucoup, le culte chrétien est un culte que l’on appelle sacrificiel. C’est un sacrifice sacramentel non sanglant qui réitère de manière sacramentelle le sacrifice de la Croix. Chaque jour, chaque dimanche où nous célébrons l’eucharistie, le sacrifice unique du Christ sur la croix, l’offrande du Christ dans l’église se répète. Et ceux qui communient , communient au mystère du don personnel du Fils de Dieu sur la croix, pour tous les hommes. Mystère qui s’actualise à chaque eucharistie.
Il en est de même dans la comparaison qui est faite entre un rabbin, un iman, et un prêtre. Même si l’on parle de l’ordination d’un rabbin, celle-ci est d’un autre ordre et d’une autre nature. Un prêtre catholique, réalise ce qu’il dit et ce qu’il fait, non en son nom, mais au Nom de Dieu : « Je te baptise » dis-je : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Et lorsque je dis « ceci est mon corps », il ne fait pas de doute que j’ai bien conscience de ne pas offrir le corps de Jacques Ollier, mais le corps du Christ.
De nombreuses autres préventions subsistent parmi ceux que nous côtoyons, ceux que nous rencontrons et qui méritent d’être levées.
La dernière, peut-être la plus importante et la plus destructrice veut faire de la foi une opinion. Mais la foi n’est pas une opinion, c’est une certitude. C’est parce que c’est vrai que nous croyons. C’est vrai parce que c’est solide, parce que l’on peut s’appuyer sur Dieu, parce que nous croyons que la Parole de Dieu peut faire fleurir le désert et que nous en avons l’expérience en nous-mêmes et hors de nous.
3. La parole appelle et relève
Aujourd’hui, dans le désert de notre ville, se lève parmi nous une fleur, une belle fleur que nous allons accueillir ; elle porte d’ailleurs le nom d’une fleur. Nous allons l’accueillir avec joie et la porter tout au long de ce Carême. Le jour des Cendres, je vous ai encouragés à prendre avec vous une personne que vous connaissez, de prier pour qu’elle puisse grandir devant Dieu, qu’elle soit croyante, ou qu’elle ne le soit pas. Je pense qu’il est important que ce chemin de Carême que nous entreprenons ne soit pas simplement entrepris pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. C’est une bonne intention de Carême que d’effacer en nous l’égoïsme, même l’égoïsme spirituel. Alors portons en nous cette catéchumène que je baptiserai le jour de la Veillée pascale, et que Monseigneur Dubost, qui présidera la Veillée, confirmera.
Que le Seigneur mette en nos cœurs le goût et le don de la parole.
Il y a des paroles qui délivrent. Demandons à Dieu de mettre en nos cœurs Sa Parole, que ce soit Lui qui parle en nos bouches et en nos cœurs.
Amen.
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