Homélie, deuxième dimanche de l’Avent. Pendant le temps de l’Avent, l’Église toute entière célèbre les trois avènements du Fils de Dieu
L’Eglise reçoit son identité du triple avènement du Fils de Dieu
Chers frères et sœurs, comme autrefois le dieu Janus regardait avec ses deux visages le passé et le futur, les chrétiens regardent en de multiples directions. Mieux que Janus, ils s’orientent vers trois directions. Ils scrutent et accueillent le triple avènement du Fils de Dieu :
Un avènement passé. Il est venu. Un avènement présent. Il vient. Un avènement futur. Il viendra. |
Cette orientation vers les trois avènements du Fils de Dieu façonne l’identité même de l’Eglise depuis des siècles. Elle puise dans l’expérience passée une sagesse. Par cette première orientation, elle est devenue experte en humanité.
Elle n’est pas seulement tournée vers un avènement passé, mais elle accueille encore aujourd’hui le Fils de Dieu qui vient. Qui la réconforte, mais qui la corrige aussi, pour qu’elle se convertisse. L’Eglise, en effet, est « semper purificanda et reformanda ». Elle est toujours en cours de conversion et de purification. Celui qui la convertit et la réforme, c’est le Fils de Dieu lui-même en son humanité trois fois sainte.
Elle se tourne aussi vers Celui qui vient, comme vous le confessez chaque dimanche dans le credo : « et iterum venturus est in gloria » Il viendra, à nouveau, dans la gloire pour juger les vivants et les morts c’est-à-dire sans plus rien de caché, mais de façon visible et manifeste.
Cette triple orientation de l’Eglise constitue un exemple pour fonder l’identité humaine
Cette triple orientation de l’Eglise pourrait bien constituer un modèle d’identité. Si l’Eglise tient son identité de cette triple orientation, il se pourrait que l’homme trouve dans cette triple orientation, vers le passé, vers le présent et vers l’avenir, un sens.
Comment devenir un être humain digne de ce nom ? Telle est l’interrogation fondamentale que porte notre société. L’Eglise peut l’aider à formuler une réponse équilibrée.
Une identité enracinée
Certains contemporains ne considèrent l’identité que dans son rapport au passé. Nous ne pouvons être qu’en fonction de ce que nous avons été. Et cela n’est pas entièrement faux.
Je vous cite une philosophe du siècle dernier, bien inspirée. « L’enracinement est le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie[1]. »
Cette orientation vers la terre, vers la racine, interroge nécessairement notre manière de transmettre, d’enseigner, d’éduquer. Parents, éducateurs, enseignants y sont sans cesse confrontés. Plus les racines sont profondes, plus haut l’arbre peut pousser, puisque la largeur des racines est le plus souvent proportionnée à la largeur de la couronne de l’arbre.
Mais cela n’est pas suffisant.
Une identité humaine en vigilance
Pour qu’une identité naisse, il faut qu’elle s’inscrive dans une vigilance sur le moment présent. Pour que celui-ci devienne viable. Pour être soi il faut devenir veilleur. Interroger les temps, les modes, les cycles historiques, économiques, sociaux, politiques permet à un homme, une femme adulte, de se prononcer par rapport à ces courants. S’il ne le faisait pas, l’adulte risquerait d’être emporté par le flot, le mainstream de la pensée courante. C’est le panurgisme trop bien vécu aujourd’hui. La majorité des humains prétend à la plus grande liberté et à l’autonomie. Bien peu parmi eux, sont pourtant vraiment libres en vérité. Et beaucoup esclaves de leurs passions, de leurs ambitions, de leurs richesses.
Il faut donc être vigilant et scruter le présent. Mais comme on peut rester collé au passé, on peut rester collé au présent. Aujourd’hui, on voudrait que l’identité d’un homme, d’une femme dépende entièrement de sa liberté. Je ne suis que ce que je me donne d’être. Mon sexe ne dépend que de mon choix. Mes actes moraux ne dépendent que de mon libre arbitre… ll est bien vrai que je me donne d’exister. Mais combien dois-je à ceux qui m’ont fait hier, et ceux qui me portent aujourd’hui, et me recueilleront demain ? Doit-on bannir le passé pour être nécessairement de ce temps ? Un document interne de la Commission Européenne, visant à éviter la discrimination et à promouvoir l’inclusion, demande de préférer l’expression « période de vacances » à celle de « période de Noël ». Et afin de garantir le droit de « toute personne à être traitée de manière égale » des mots comme Mademoiselle et Madame, mais aussi Noël et des prénoms comme Marie ou Jean devraient être supprimés.
Une identité humaine encore à venir
Il n’est pas d’identité qui ne trouve sa vérité dans un enracinement, dans une vigilance présente. Mais aussi, il n’est pas d’identité qui ne trouve sa vérité dans un avenir, une promesse. Il n’y a pas d’humanité qui ne se construise sans un grand idéal. C’est là le malheur de notre temps. Que la plupart avance les yeux bandés.
On nous dit par exemple que l’Eglise de France est en ruine. Et cela est peut-être avéré. Mais, non pas le catholicisme français, qui est une certaine manière de considérer l’existence, et en particulier l’existence de la société. Et le catholicisme français a cela de propre, qu’il ne conçoit le bien de tous, de la collectivité que par la participation de chacun, sans exception, à la réalisation de ce bien commun. Aucun n’est exempt de cette participation. Pauvres, riches, adultes, jeunes, enfants, malades, bien-portants, tous participent au bien commun. Ce bien de tous, Dieu y participe Lui-même, en venant dans le monde. Hier, aujourd’hui et demain.
Chrétiens de Saint-Pierre de Chaillot, ouvrez les yeux. Regardez l’à venir. Celui qui ne vient pas sans vous offrir les grands biens qui font un homme, une femme. Un passé – un enracinement, un présent – une vigilance, un avenir – une promesse. Il vous offre une histoire, celle d’une Alliance, un présent, celui de sa douce Consolation à vos côtés, un avenir, empli de sa Lumière.
Bon temps de l’Avent.
Amen.
[1] Weil, Simone, « L’Enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain » in Oeuvres, Quarto-Gallimard 1999, p. 1052
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